Lettre de l'amoureuse théorique...

Lundi 29 septembre 1 29 /09 /Sep 08:00

Lettre de l'amoureuse théorique...

« Mon aimé,

voilà trois jours que je m'ennuie de vous, ce sont trois jours de trop. »
Voilà comment débuterait la lettre que je vous écrirai peut-être un jour. Comme j'aimerai m'ennuyer de vous ne serait-ce qu'une heure, car cet ennui est doux autant qu'il est éphémère. Qu'il me serait délicieux de vous attendre, lascive, puisque je saurais que vous viendrez.
Oh comme je saurais vous aimer, vous chérir. Et comme je saurai vous le dire! J'ai tant de fois chuchoté les mots que vous n'entendez pas. J'en ai écrit bien d'autres qui me font rougir mais qui disent si bien le manque j'ai de vous dans mon être tout entier et comme mon coeur brule autant que mon corps.
« Je me consumerais toute entière si vous osiez seulement porter votre douce main à ma gorge soupirante de désir. » Quel plaisir ce serait de vous écrire ces banalités érotiques et adorables. J'y déposerai deux gouttes de rose et signerai à l'encre violette, tout en pleins et en déliés.
Et je ferais rimer « amour » avec « toujours », « vos yeux » et « délicieux », « passion » et « dévotion ». Toutes ces rimes épuisées et ridicules que je serai trop heureuse de cous écrire à mon tour.
J'ai appris à vous guetter de ma fenêtre, à vous jeter des fleurs de mon balcon, à dénouer mes boucles avec sensualité et à parfumer mon corps qui n'attends plus que vous pour l'éveil de nos sens. Je suis une amoureuse parfaite, j'ai lu tous les livres qui traitent de séduction, je sais par coeur la carte du tendre et le Kama Sutra. On peut dire que je n'ignore rien des milles façons d'aimer.
Mais voilà, je ne vous connais pas et vous ne m'aimez pas. Je n'ai encore jamais eu la joie de vous rencontrer, l'ivresse de vos baisers, le bonheur de vous aimer.
Et je noircis mon grand cahier bleu des lettres que je vous écrirais si vous vouliez bien exister dans ma vie ne serait-ce qu'un seul instant.
J'ai cinquante ans aujourd'hui et je n'ignore rien de l'amour, consciencieusement. Je sais tout sauf votre réalité à vous, l'Homme. J'ai passé ma vie à apprendre l'amour, moi qui en rêvais tant, et j'ai oublié de vous aimer. Me voilà seule, à l'aube du déclin, et je vous espère encore.
Ma lettre est sans destinataire, saurez-vous m'entendre malgrès tout, vous, l'Homme que j'aimerais?
Je ne vous imagine pas, je sais déjà que vous serez parfait, ne serait-ce que dans votre réalité d'homme.
« Je vous embrasse comme je vous aime », ainsi finirait la lettre que je vous écrirais, celle que j'aimerais commencer par « mon aimé ». Mais celle-ci est toute autre.

Amoureusement toujours et désespérément votre,

Mademoiselle Espérance